Envie, désir ou jalousie ?

ImageIntroduction du Café Psy – Février 2015

Remontons à Diogène dans son tonneau. Voici ce qu’il nous dit : « L’envie, c’est la douleur de voir autrui posséder ce que nous désirons ; la jalousie, celle de le voir posséder ce que nous possédons. ». Autant dire que ces trois sentiments, désir, envie et jalousie, sont à la fois intimement liés et beaucoup plus distincts qu’il n’y paraît. En effet, dans le langage courant, nous confondons souvent envie et jalousie, car les réactions qu’elles suscitent se ressemblent, notamment dans la colère, la rage, la haine et l’agressivité qui en découlent. En outre, nous osons rarement reconnaître que nous sommes envieux, nous préférons concéder du bout des lèvres que nous sommes jaloux.

Pour les différencier, nous pourrions dire que le désir, c’est 1, c’est à dire de soi pour soi. L’envie, c’est un jeu à deux, l’envieux et l’envié. Et la jalousie est un drame à trois : le jaloux, sa possession, et celui qui veut la lui prendre. Le désir naît du manque. L’envie, de la frustration d’avoir, la jalousie, de la peur de perdre.

Passons rapidement sur le désir, il n’est pas le sujet de ce soir (nous le traiterons dans une prochaine soirée), mais il convient de préciser qu’il constitue le point commun à l’envie et à la jalousie, puisque sans désir, ni l’une ni l’autre n’existerait.

L’envie, un jeu à deux

Commençons par l’envie, ce jeu à deux. Dans notre culture judéo-chrétienne, l’envie fait partie des sept pêchers capitaux. Elle est l’un des sentiments humains les moins tolérés. Elle génère de la culpabilité, parce qu’on envie les qualités, possessions ou succès de ceux qui nous sont proches et auxquels nous nous identifions. Lorsque les personnes sont plus lointaines, on reste en effet dans l’idéalisation.

L’envie est un monstre à deux faces : d’une part la frustration de voir un autre posséder ce que l’on désire ardemment. Et d’autre part, le sentiment de dévalorisation que suscite la comparaison avec cet autre. L’envie a ceci de spécifique qu’il ne s’agit pas seulement du désir de posséder ce qu’a l’autre mais du désir de le déposséder de la jouissance qu’il en a. L’envie implique le désir de priver l’autre. Comme dans Blanche-Neige dont la reine envie la beauté : elle veut tuer la jeune fille non pas pour la lui prendre mais uniquement pour l’en déposséder. Elle-même n’en sera pas plus belle pour autant.

Le sociologue Vincent de Gaulejac précise que « l’envie est une réaction face à une comparaison qui humilie. Faute de pouvoir être comme l’objet idéalisé, on le déprécie, et cette dévalorisation de l’autre provoque une exaltation négative. On jouit de voir l’autre diminué. Plutôt que d’exalter le désir d’être comme l’objet idéalisé, l’envie exalte le désir de le rabaisser, le dévaloriser, l’avilir. » Elle suscite la haine. L’envie contient une volonté d’attaquer l’autre, de l’humilier, pour apaiser la douleur de la frustration. C’est pourquoi Nietsche appelait l’envie « la joie mauvaise ». Heureusement, notre éducation, notre surmoi comme le nomme la psychanalyse, nous empêche de passer à l’acte, voire même d’en être conscient. « Sublimée », l’envie peut conduire à l’ambition et devenir un moteur d’élévation.

Au commencement, comme toujours, était le sein maternel. Le premier de nos plaisirs et la première de nos frustrations : quand le sein se refuse, il apparaît au bébé comme retenant pour lui-même le lait et l’amour. Pour le nourrisson, le sein maternel contient tout ce qu’il désire, il est une source inépuisable , qu’il souhaiterait réservée à son unique satisfaction. Or l’enfant prend le sein pour une personne à part entière qui possède donc ce qu’il voudrait lui appartenir. C’est parce qu’il a conscience d’être à la fois séparé et dépendant de ce sein que naît l’envie, telle que nous l’avons décrite. Autrement dit, le bébé envie le sein, comme plus tard nous envions les qualités ou possessions des autres.

La jalousie, un drame à trois

Allons du côté de la jalousie, le drame à trois. La jalousie se caractérise par la peur de se voir prendre par un autre quelque chose ou quelqu’un qui nous est essentiel. Il s’agit de la peur de la perte ou de celle de l’abandon. La jalousie s’enracine dans la mauvaise estime de soi.

Dans la jalousie, la peur d’être privé de l’un de nos objets essentiels par un rival qui le désire pour lui-même renforce la valeur de l’objet en question et du même coup suscite de la fascination pour ce rival qui pourrait réussir à l’obtenir ou l’a déjà obtenu. Il peut devenir un idéal inconscient de nous même, et faire naître de l’envie.

Les manifestations de la jalousie ressemblent à celles de l’envie : rage, colère, haine, agressivité. Ce qui diffère, c’est la cible et le moteur. La cible de la jalousie, c’est le rival. La motivation, c’est garder ou reprendre l’objet aimé.

Aux sources de la jalousie, devinez quoi : la mère. Alors que l’envie apparaît dès les trois premiers mois de la vie, la jalousie a besoin d’une élaboration plus sophistiquée. Elle émerge vers cinq ou six mois, quand l’enfant comprend que sa mère a une vie propre et que donc, elle peut décider de partir. Le bébé a alors des rivaux. On pourrait même dire que pour éprouver la peur de perdre, il faut déjà avoir connu le sentiment de perte. C’est donc dans la sécurité ou l’insécurité du lien avec la mère que se trouvent les germes de la jalousie.

Peu d’entre nous échappent à l’envie et à la jalousie, nous vous invitons donc à partager sans honte ni culpabilité ce que ces deux sentiments évoquent pour vous.