La peur, amie ou ennemie ?

Munch-Le criIl est 20h. Vous arrivez rue Milton pour votre soirée au Café Psy. A quelques mètres de la Bocata, surgit soudain… un lion. Votre coeur s’emballe, votre respiration s’accélère, le ventre se noue, vous ne pensez plus. A cet instant, c’est votre mémoire préhistorique qui a pris les commandes. Les cerveaux reptilien et limbique ont activé des mécanismes neurophysiologiques et envoyé une décharge d’adrénaline. Le foie libère du glucose pour renforcer l’énergie des muscles et les organes sans utilité à cet instant se mettent en veilleuse pour ne pas vous ralentir. La digestion s’arrête, le sang quitte le visage pour se concentrer dans les membres. Tout le corps se prépare en une seconde à réagir pour se sauver. Voilà ce qu’est la peur : un système d’alarme hautement sophistiqué, indispensable à notre survie, qui nous informe des dangers, et mobilise nos capacités physiques de réaction.

Mais lorsque cette alarme se déclenche devant des dangers imaginaires ou fantasmés, lorsque la peur est réveillée par des résurgences du passé, cet état d’alerte se manifeste beaucoup plus souvent, plus ou moins violemment, plus ou moins consciemment, et peut nous pousser à réfréner nos désirs et entraver le déploiement de notre vie.

 

Réactions

Car face au danger, réel ou imaginaire, notre cerveau est programmé pour nous proposer trois réactions selon le neurobiologiste français, Henri Laborit, que nous activons en fonction de la nature du danger, et de nos ressources personnelles, physiques ou psychologiques.

1 – Le combat, l’agressivité. Nous contre attaquons. Face au Lion, si nous sommes armés, cela peut se révéler utile. Face à un danger fantasmé, nous pouvons nous montrer très agressif et nous faire des ennemis.

2 – La sidération ou paralysie. Nous restons figé sur place, incapable de faire un mouvement. Une façon de rester invisible, de se faire oublier. Dans la nature, certains animaux font le mort pour démotiver leur prédateur.

3 – La fuite. S’il est utile d’éviter de prendre la route avec un chauffeur ivre mort, il devient plus handicapant d’éviter sans discrimination tout ce qui nous fait peur : entretien d’embauche, conversation avec un ou une inconnue, conflit, peur erreur ou échec… Imaginez une vie où nous éviterions d’affronter tout cela ?

Nous pouvons ajouter une autre réaction, sans doute spécifique à un certain type de personnalité, celle de la négation du danger. Nous l’observons chez ces personnes qui foncent tête baissée dans un mur que tout le monde a vu sauf elles. Le pire n’étant pas toujours certain, cela donne parfois des résultats extraordinaires mais aussi des blessures psychologiques ou physiques importantes, faute d’avoir su évaluer le risque.

Les premières peurs

L’écrivain russe Iouri Olecha (in Pas de jour sans une ligne, L’Âge d’homme, 1995) écrit dans l’un de ses ouvrages « Peut-être la peur de la mort n’est-elle que le souvenir de la peur de naître ». La peur est inhérente à la vie. Elle est présente dès nos premières heures. À peine sortis du protecteur ventre maternel, nous nous retrouvons, nus, démunis et vulnérables, dans un état de totale dépendance dont nous avons parlé ici à plusieurs reprises. Ces moments s’accompagnent de plus d’étranges sensations corporelles qui nous entraînent dans la terreur.

En effet, dans les premiers mois de la vie, nous avons l’illusion de ne faire qu’un avec tout ce qui nous entoure.  Chacune des interactions de notre environnement est vécue comme si l’un de nos membres se mettait en mouvement indépendamment de nous, créant ainsi une peur qu’en psychanalyse, nous appelons « l’angoisse de morcellement ». C’est en surmontant petit à petit cette peur, que l’illusion se rompt et que chacun d’entre nous commence à définir les contours de son individualité.

Au fil de notre développement, nos peurs deviennent plus complexes mais aussi plus nombreuses, comme si devenant plus matures, nous devenions aussi plus conscient des risques de la vie et de la peur fondamentale, qui en quelque sorte nous fait  revenir au départ, la peur de mourir.

Question de perception

Si la peur est déclenchée par l’approche ou l’image d’un danger, elle est avant tout une question de perception. En d’autres termes, la réalité du danger n’a pas systématiquement à voir avec l’intensité de la peur. Ce qui fait peur à l’un ne fait pas peur à l’autre. La peur est donc aussi une affaire de construction, une opération mentale qui s’appuie le plus souvent sur notre imaginaire dans une combinaison de 4 éléments : des faits, des émotions, une production de l’imaginaire et un jugement. Pour autant, cette perception a un caractère inéluctable pour celui ou celle qui la vit, et demande donc à etre reconnue comme telle.

Comment se construit notre rapport au danger ?

Notre rapport au danger se façonne dans l’enfance, dans un double mouvement, perception-sensation. Du côté de la perception, plus l’imaginaire de l’enfant a été stimulé dans le sens de la peur, plus ses peurs seront plus tard nombreuses et irrationnelles. Observez les mères au jardin, vous verrez celles qui se précipitent en criant à la moindre chute, et celles qui laisseront leurs rejetons tomber, se relever, s’assurant tranquillement qu’il n’y a rien de grave. Les premières construisent sans le savoir la perception d’un univers où le danger est partout.

Du côté de la sensation, la peur prend sa source dans les expériences vécues. Plus elles auront été négatives, plus la peur s’ancrera dans le sujet. Le souvenir se ravivera à chaque rappel, même imaginaire. Par exemple, un employé efficace et compétent se sentira pétrifié face à son chef, non parce que ledit chef est tyrannique mais simplement parce sa position hiérarchique le renvoie à la sévérité de son son père.

De grandes peurs sous les petites peurs

Nous connaissons tous de petites peurs quotidiennes : peur d’être en retard, de ne pas boucler les fins de mois, de perdre ses cheveux, de grossir, de rater un examen, de bafouiller en public et tant d’autres. Ces petites peurs-là, qui nous gâchent la vie, et dont on se moquent gentiment (ou pas) chez les autres, sont à regarder avec bienveillance. Elles ont une fonction. Elles nous protègent en réalité de peurs plus profondes.

Ainsi la peur ressemblerait à un oignon dont les premières pelures seraient nos petites peurs, et le cœur, nos peurs existentielles. Voici ce qu’en dit la psychanalyste Elisabeth Kübler Ross, spécialiste du deuil : « Il nous faut “éplucher” nos craintes l’une après l’autre pour atteindre la peur fondamentale qui sous-tend toutes les autres. Il s’agit généralement de la peur de la mort. Supposez que vous soyez extrêmement inquiet à propos d’un projet professionnel. “Epluchez” cette angoisse et, en dessous, vous découvrirez la peur de mal faire. En dessous, vous découvrirez encore d’autres couches : la crainte de ne pas obtenir l’augmentation attendue, de perdre son emploi, et finalement de ne pas survivre, qui est essentiellement la peur de la mort. »

Selon Kübler Ross, toutes nos angoisses s’enracinent dans la peur de la mort. Mais nous pourrions aussi citer d’autres angoisses existentielles comme la peur de la solitude ou celle de l’absence de sens. Dans tous les cas, pour se libérer de ces petites peurs qui nous freinent, il s’agit d’affronter les grandes angoisses qu’elles masquent. Ainsi, nous pouvons reprendre les rênes de notre vie, et ne plus avoir peur que face aux véritables dangers comme le lion de la rue Milton

 

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