Pour parler de l’adolescence, il est nécessaire de revenir à l’enfance car, comme l’écrit Évelyne Kestemberg, « Si tout se prépare dans l’enfance, tout se noue au cours de la période de latence et se joue à l’adolescence ».
Voilà une phrase qui mérite quelques éclaircissements : ce qu’Evelyne Kestemberg nomme l’enfance se situe principalement entre 2 et 5/6 ans. Il s’agit d’une part de ce que nous appelons communément « l’âge du non », qui marque les premiers signes de construction identitaire, et de volonté d’indépendance. D’autre part, c’est la période du complexe d’Oedipe, c’est à dire le moment ou l’enfant prend conscience qu’il est un garçon ou une fille. Il développe alors pour ses parents des sentiments contraires : un amour éperdu, le plus souvent pour le parent de sexe opposé, et de l’hostilité envers celui de même sexe. Ces sentiments s’accompagnent de fantasmes d’inceste et de meurtre (nous disons bien « fantasmes », et non « désir »). Il se sent coupable et craint la punition. C’est ce que l’on appelle « l’angoisse de castration ».
Pour sortir de cette angoisse, l’enfant investit d’autres centres d’intérêt et entre dans « la phase de latence », appelée aussi « période des apprentissages ». Il a, alors, autour de 7 ans.
Les enjeux de la puberté
Qu’est-ce donc, qui se joue, ou se rejoue, à la puberté ? L’adolescent connaît alors un orage hormonal qui va générer une métamorphose physique extrêmement rapide. Il devient plus grand, plus fort, ses organes génitaux prennent de l’importance, son système pileux se développe… Ses sensations changent. Il se découvre des pulsions et des désirs physiques. Il devient un être humain sexué. Et un objet de désir pour les autres.
Pour intégrer ces transformations, il va lui falloir remanier profondément son rapport à lui-même et aux autres. Ce qui va lui demander une énergie psychique énorme et s’accompagner de conflits internes douloureux.
Cet orage hormonal prend l’ado au dépourvu. Son corps se modifie comme indépendamment de sa volonté, créant un sentiment de passivité et d’étrangeté qui peut aller pour certains, jusqu’à l’insupportable. En cela, la puberté peut être comparée à un traumatisme, et comme tout traumatisme, elle a du mal à être pensée par le sujet. Or les conflits internes, pour être dépassés, doivent s’exprimer. D’où la fameuse crise d’adolescence. Ce qui n’arrive pas à être pensé, et dit, sort autrement : sous forme de violence, d’opposition, de mépris souverain, ou alors de rêverie, de retrait dans les jeux vidéos ou les activités artistiques, selon les individus.
Conflit interne
Ce qui se joue pour l’adolescent est la prise de conscience de sa dépendance qui était jusqu’ici camouflée par son statut d’enfant. Il se trouve pris entre deux forces contradictoires : son désir d’autonomie et de liberté, et sa peur de quitter le cocon de la dépendance sécurisante.
Ce conflit interne est d’autant plus puissant que la puberté, et les pulsions sexuelles, viennent réactiver les angoisses de la petite enfance. Les transformations physiques rendent aujourd’hui possible la rencontre sexuelle, et donc la réalisation des fantasmes oedipiens inconscients, c’est à dire l’inceste. Si, à 3 ou 4 ans, il pouvait dire « je veux me marier avec maman, ou papa », aujourd’hui, cette phrase prend une tout autre dimension. Voilà qui explique notamment la façon compulsive dont les ados protègent leur intimité et refusent la proximité corporelle avec leurs parents.
Pulsion
Mais la pulsion est là. Puisqu’il ne peut pas la vivre avec son parent, la nécessité de se séparer et de trouver un autre objet d’amour devient cruciale. Pour cela, il doit affirmer son identité, se différencier de papa et maman, jusqu’à la marginalité parfois. Il se cherche de nouveaux modèles. Mais cela non plus n’est pas simple. Il s’est construit toute son enfance en s’identifiant à ses parents. Renier cette influence revient à se renier lui-même.
C’est ainsi que l’adolescent se révèle plus ou moins agressif avec ses parents. Mais là encore, les attaquer revient à s’attaquer lui-même. D’où des sensations souvent douloureuses qui peuvent le pousser à encore plus de violence, voire, dans certains cas, à retourner cette violence contre lui-même.
La résolution de ces conflits internes et la constitution de l’identité autonome et adulte est en partie conditionnée par les relations de la petite enfance car c’est dans les premières années de sa vie et dans le rapport avec ses premiers objets d’amour que se sont plantés les germes de son autonomie. Quelle que soit le type d’insécurité affective dans laquelle grandit un enfant, elle entravera sa capacité à être seul et renforcera son besoin du regard de l’autre. Elle le rendra dépendant. Une atmosphère sécurisante et aimante, au contraire, permettra à l’enfant, puis à l’adolescent, de se considérer comme légitime à être ce qu’il est, sans vaciller sous le regard des autres.
Christine Jacquinot & Marie Marvier – Septembre 2015