Liberté, liberté chérie

8b4fdc73cc42a9cc0bbc764ff2017df9560f3518_1354556110_crop_1x1Texte d’introduction – Café Psy juillet 2015 –

On rencontre peu le terme de « Liberté » dans le lexique du psy, autrement que comme l’objectif suprême de toute thérapie. C’est pourtant, selon l’approche existentielle, l’un des quatre enjeux ultimes de l’homme, avec l’angoisse de mort, la solitude et l’absence de sens.

En tant que concept philosophique, l’idée de liberté suscite des débats passionnants opposant liberté fondamentale et déterminisme, jamais résolus depuis plus de 2000 ans.

Mais en tant qu’angoisse, la liberté est moins facilement appréhendable que la mort ou l’absence de sens car elle s’envisage le plus souvent sous des aspects exclusivement positifs. On se bat pour la liberté. Pas pour la mort.

Ce soir, nous traitons de la liberté en tant qu’enjeu existentiel, c’est à dire de la liberté du sujet à créer sa propre vie, de sa liberté de désirer, de choisir, et bien sûr… d’agir.

Le besoin de cadre

Dans son acception existentielle, la liberté renvoie à l’absence de structure externe, de cadre. Elle nous oblige à nous regarder nous-mêmes comme totalement responsables de nos choix, de nos actions, autrement dit, de notre vie. Le conflit interne, plus ou moins conscient, naît de la rencontre entre cette absence de cadre et le besoin que l’on en a.

Le cadre, quel qu’il soit -c’est à dire, la loi, les rituels, les règles implicites, la hiérarchie etc – permet dans tous les cas de se sentir contenu, rassuré, en sécurité au sein de quelques certitudes. Même si cela se paye par les contraintes.

La responsabilité

Selon les existentialistes, la liberté se mesure au degré de conscience que l’on a de notre responsabilité, au sens ou Sartre l’écrit dans L’Être et le Néant, c’est à dire qu’être responsable c’est « être l’auteur incontesté d’un événement ou d’une chose ». Autrement dit, c’est être conscient d’être le créateur de nous-même, de notre destin, de nos difficultés, de nos émotions, et même de notre souffrance. D’en assumer la paternité sans l’attribuer aux autres. Irvin Yalom, thérapeute existentiel va jusqu’à se considérer comme responsable de la famine qui sévit dans certaines régions. Il pourrait s’insurger, disant qu’il est peu informé de la situation et que, d’où il est, il n’y peut pas grand-chose. Mais il préfère considérer qu’il a « choisi » de ne pas s’informer, et qu’il a décidé d’écrire des livres plutôt que de s’engager pour cette cause et, par exemple, collecter des fonds. Il n’est pas question ici de « juger ». Il ne dit pas qu’il « devrait » le faire. Il assume avoir fait d’autre choix, et que ces choix sont sa responsabilité.

A un autre niveau plus intérieur, nous pourrions dire que nous sommes « créateurs » du monde dans lequel nous vivons. J’entends par là, donc, notre monde « interne ». Prenons cet autre exemple d’un homme européen d’une trentaine d’années qui part faire un trekking au Yémen. Dans un village, il assiste par hasard à la punition publique d’une femme adultère. Il rentrera profondément choqué et bouleversé, à juste titre au regard de ses valeurs humanistes. Mais cet autre homme de trente ans, yéménite présent lors de la même scène, y verra, lui, une application de la justice. En est-il plus mauvais pour autant ? Selon ses valeurs à lui, non. Ce sont deux hommes d’âge équivalent, vivant la même réalité externe mais la recréant de toutes pièces selon leur intériorité. Ceci montre de quelle façon nous avons toujours le choix, la liberté, de vivre les choses d’une manière ou bien d’une autre.

Mais bien sûr, dans cet exemple comme dans tous les autres, le concept de responsabilité n’aurait de sens que si le sujet était libre de constituer son propre monde d’une manière autonome, choisi en conscience parmi de nombreux autres possibles. Et ce, au delà des valeurs morales, quelles qu’elles soient. C’est à dire en dehors de tout cadre pré-établi. Cette conception sartrienne de la liberté fondée sur la responsabilité se révèle vertigineuse car elle implique que pour être vraiment libre, il faudrait s’affranchir de toute règle, de tout système éthique, de tout référent externe, qu’il soit familial, religieux, social ou politique. Ce qui est impossible. D’où sa qualité d’angoisse fondamentale.

Ce n’est pas pour autant que nous ne pouvons pas accroître considérablement le champ de notre liberté. Or, nous passons une grande partie de notre vie à éviter la responsabilité sans même nous en rendre compte : en attribuant certaines de nos émotions au comportement de l’autre, en déléguant la réussite d’un projet (professionnel, personnel) à un autre que soi – c’est particulièrement visible en thérapie lorsqu’un patient reproche à son psy le fait de stagner, par exemple. Mais aussi en jouant la victime innocente. En ayant des attentes sur ce que devraient faire les autres (conjoint, chef, parents…). En se faisant prendre en charge. En accumulant la fatigue qui nous empêchera d’agir… La liste est longue. Tous ces comportements courants aboutissent à un évitement de la responsabilité et, certes, à un soulagement de l’angoisse, mais aussi à une limitation de notre vie.

Désir et choix

En soi, la conscience de sa responsabilité ne va pas toujours de pair avec l’accès à plus de liberté. Elle n’en est qu’une condition préalable, nécessaire et non suffisante. La suite est question de désir. Or le désir rend vulnérable et contraint à s’exposer. Nous vous renvoyons au Café Psy que nous avons consacré à ce sujet. Pour résumer, nous accédons difficilement à nos désirs par peur de l’échec, de l’abandon ou encore par besoin d’être devinés.

Une fois nos désirs identifiés, nous voici confrontés à la question du choix et de la décision.

Qu’il s’agissent d’une décision de vie -changer de métier, se marier, se séparer, arrêter de fumer…- ou de mini-décisions -lieu de vacances, couleur de chaussures, frites ou salade…- nous passons notre vie à faire des choix. Et même lorsque nous ne choisissons pas, nous choisissons de ne pas choisir et de nous en remettre au hasard ou aux autres.

Pourquoi choisir est-il si difficile ? Parce que le choix implique le renoncement. Que pour chaque oui, il y a un non. Et que plus notre liberté est grande plus la question du choix devient vaste et angoissante. Car elle nous ramène à la peur de l’erreur, de l’échec, du jugement, des conséquences… Bref, choisir, c’est décider ce que nous voulons pour nous-même, renoncer à d’autres choses que nous aurions bien voulues aussi. C’est, d’une certaine façon, accepter notre finitude qui ne nous permettra pas d’accéder à tout. C’est donc, au cœur de ce dernier enjeu existentiel, se confronter à sa liberté et à sa responsabilité.

Christine Jacquinot & Marie Marvier – Juillet 2015