Une femme rêve qu’un bel homme, avec un étrange regard, s’approche de son lit. Elle lui crie : « Qu’est-ce que vous allez me faire ? » ; le beau garçon lui répond : « Désolé, madame, mais je ne sais pas ce qui va arriver. C’est votre rêve ! »
C’est l’histoire que la psychanalyste Joyce McDougall a raconté à une de ses patientes, afin de lui faire comprendre que la totalité des éléments de son rêve étaient sa propre création.
Comme le disait Freud : « Le rêve est la voie royale vers l’inconscient. »
Sachant que nous passons en moyenne un tiers de notre vie à dormir, dont environ dix ans à rêver, on estime que nous produisons de 100 000 à 500 000 rêves au cours de notre existence. Quel « matériel » magnifique pour les psy ! Ils sont d’ailleurs plusieurs à s’être penchés sur la question.
Si dans toutes les cultures, le rêve a toujours occupé une place fondamentale (divination, contact avec le monde des esprits…), dans notre civilisation occidentale contemporaine, il aura fallu attendre Freud pour envisager le rêve comme porteur d’un message. Pour l’anecdote, le Larousse médical en donnait cette définition jusqu’en 1924 : « désordre psychique à contenu absurde et sans valeur pratique. » Pire, l’interprétation des rêves est restée illégale en France jusqu’en 1992, date de la rénovation du code pénal napoléonien !
Le rêve réhabilité !
Freud donc, le premier, réhabilite le rêve et en fait le socle de la psychanalyse. Selon lui, nos désirs refoulés et inavouables, qu’il suppose le plus souvent à caractère sexuel, remontent au cours de la nuit et nous réveilleraient s’ils n’étaient satisfaits symboliquement par nos rêves.
Par la suite, Carl Gustav Jung remet cette théorie en cause et apporte une vision plus large en y introduisant la notion d’inconscient collectif, qui renferme l’immense héritage psychique de l’humanité. Il définit des archétypes communs à toutes les cultures (la grande mère, l’ombre, l’enfant divin, entre autres…). Le rêve serait alors l’expression symbolique à la fois de l’inconscient individuel et collectif. La prédominance freudienne des problématiques sexuelles disparaît au profit d’un être plus complexe à forte imprégnation spirituelle.
Plus tard, l’inventeur de la Gestalt thérapie, Fritz Perls, apporte l’idée que le rêve serait constitué d’éléments de la vie du rêveur que celui-ci n’aurait pas encore intégrés. En cela, il se rapproche des avancées des neurosciences.
Pour elles, les rêves les plus riches et le mieux mémorisés se manifestent lors du sommeil paradoxal, soit la dernière partie du cycle de sommeil. Les neurosciences poursuivent leurs recherches quant à la fonction spécifique du rêve pour l’organisme, mais en l’état actuel des connaissances, l’activité onirique permettrait de trier, d’ordonner et de métaboliser la masse d’informations, conscientes et inconscientes, engrangées au cours de la vie diurne.
Pour nous, en tant que psychanalystes intégratives, toutes ces approches se complètent et aucune n’est à exclure. La question est de savoir comment les patients peuvent tirer profit de leurs rêves. Quelles découvertes sont-ils susceptibles d’y faire ? Comment les aider à les travailler ?
Ecouter nos rêves
Selon la psychothérapeute Sabine Borowski-Tepper, lire un rêve pourrait se rapprocher des différents niveaux de lecture de texte dans la tradition talmudique.
- La lecture « descriptive » : ce qui est écrit décrit ce qui est. Autrement dit, je raconte mon rêve, les images que j’y ai vu, les émotions que j’ai ressenti. Il s’agit du contenu conscient.
- La lecture « interprétative » : ce qu’on a voulu dire en écrivant cela. Concernant le rêve, il s’agit de l’interprétation que j’en fait.
- La lecture « symbolique » : que représente ce qui est écrit en fonction des symboles de la culture. Pour le rêve, le travaille consiste ici à décrypter l’univers symbolique lié à la culture d’origine et à l’histoire du rêveur.
- Enfin, la lecture « secrète » : Dans la tradition talmudique, le texte possède un sens que seul voit l’initié. Nous parlons ici du code secret qui dissimule le sens du rêve, la clé de cette fabrication d’images.
Vers une autre dimension
Mais au fond, à quoi l’écoute de nos rêves nous permet-elle d’accéder ? Au cours d’une journée, nous agissons, nous sommes traversés par des pensées, des émotions, et des sensations. Parfois, nous nous arrêtons pour tenter de les comprendre. Le travail du rêve, nous permet de nous extraire d’un système purement explicatif : « j’ai fait ça, parce que… ». Il nous conduit vers notre imaginaire et notre part créative, qui sont moins entravés. Il nous fait accéder à une autre dimension de nous-même.
C’est dans cette dimension-là que nous pouvons plus facilement faire remonter nos fantasmes, nos peurs, nos croyances, nos angoisses. Par le biais des images et du jeu que constitue le travail du rêve, toutes ces choses inconfortables deviennent mieux accessibles et plus dicibles.
Il en résultent des prises de conscience, des éclairages différents sur nous-même et sur notre histoire, des indices de nos changements, de meilleures compréhensions de ce qui nous agit. Autrement dit, le rêve donne corps et sens à notre vécu dans toutes ses dimensions.
Parce qu’au bout du compte, chaque partie d’un rêve est une partie de nous. Nous sommes chaque partie du rêve. Et l’on pourrait conclure en rappelant que le tout est différent de la somme des parties.
Christine Jacquinot & Marie Marvier – Le Café Psy- Novembre 2015