Les jeux de l’humour

ImageJoseph Klatzmann dans son ouvrage L’Humour juif souhaite « rire pour ne pas pleurer ». Beaumarchais écrit « Je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer ». Quant à Nietzsche, il affirme que « L’homme souffre si profondément qu’il a dû inventer le rire. Vous pensiez venir vous amuser ce soir ? Eh bien non. Bienvenue au Café Psy, nous allons encore une fois parler de la souffrance, mais avec humour, puisque l’humour est un puissant mécanisme de défense. Il est même défini comme tel par le DSM, le répertoire des troubles mentaux, qui le décrit ainsi : « Mécanisme par lequel le sujet répond aux conflits émotionnels ou aux facteurs de stress internes ou externes, en faisant ressortir les aspects amusants ou ironiques du conflit ou des facteurs de stress. » Nous faisons donc bien ici la différence entre l’humour et le comique. L’humour est spontané et à visée défensive, quand le comique est intentionnel et destiné à amuser.

Nous avons décrit l’humour, mais la question est : comment ça marche ? Par l’humour, nous nous épargnons des émotions négatives ou douloureuses qui devraient être la conséquence d’une situation difficile, en prenant de la distance au moyen d’une plaisanterie. Le paradoxe de l’humour est qu’il nous fait voir que les traumatismes peuvent même devenir des occasions de plaisir.

L’humour a donc un effet libérateur qui nous permet de réduire le stress et rend superflue une décharge émotionnelle comme les larmes, par exemple. Il s’agit là d’une réaction involontaire. A la fois anticipation et suppression d’une douleur, son mécanisme est si élaboré que l’humour devrait être conscient et décidé, or, pour Freud, sa condition préalable est justement son automatisme. Il écrit même que « le déplacement humoristique est impossible sous l’attention consciente.»

La magie de l’humour, pour celui qui en fait usage, réside dans la sensation d’invulnérabilité immédiatement ressentie et extériorisée. Comme si nous affirmions à la face du monde : « Je ne me laisse pas atteindre ». Freud nomme cela « le triomphe du narcissime », narcissisme au sens de l’amour de soi. Il considérait l’humour comme le plus haut des mécanismes de défense contre la douleur car il est le seul capable de nier la réalité sans affecter la santé psychique.

On pourrait dire qu’il existe quatre grands types d’humour. Deux qui s’adressent à autrui et deux qui s’adressent à soi-même.

1-L’humour avec l’autre. Il est bienveillant. Il facilite les relations et réduit les tensions interpersonnelles. Par exemple : « Il fait doux pour un mois de novembre », alors que nous sommes en juin et que le temps est pourri.

2-L’humour contre l’autre. Il s’agit du sarcasme. Ce type d’humour néglige l’impact qu’il peut avoir sur son destinataire. Il permet de rehausser une estime de soi défaillante par la moquerie, voire par le dénigrement. –Echange entre Winston Churchill et la militante féministe Nancy Astor : « Winston, Si j’étais votre épouse, je mettrais du poison dans votre verre ! »
Réponse du tac au tac de Churchill :
– « Et bien moi, Nancy, si j’étais votre mari, je le boirais ! »

3- L’humour pour soi-même. C’est celui qui nous permet de rire de nos malheurs. Et qui renforce notre image de nous-même. Freud donne cet exemple d’un condamné à mort devant être exécuté un lundi. Sur l’échafaud, il lance : « Voilà une semaine qui commence mal ! »

4- L’humour contre soi-même. Il ne s’agit plus de rire de nos malheurs mais de nous-même, de nos manques et de nos failles. Il est fondé sur la croyance inconsciente que le rire va susciter l’approbation et l’acceptation de soi par l’autre. Arletty lorsqu’elle est arrêtée pour avoir couché avec un Allemand : « Mon cœur est français, mais mon cul est international ».

Dans tous les cas, l’humoriste se place en position de parent vis à vis d’un enfant. Bienveillant, il est le parent nourrissier qui taquine et relativise. Agressif, il devient le parent moqueur qui nie l’importance de la souffrance de l’enfant et le rabaisse. Avec autrui, c’est l’autre qui est l’enfant, vis à vis de nous-même, il s’agit de notre enfant intérieur. Le mécanisme reste le même.

Dans des situations apparemment difficiles, l’humour devient l’allié de notre parent intérieur. Il nous préserve ou nous console de nos souffrances. On pourrait le comparer à l’écureuil de la Caisse d’épargne, dont les noisettes seraient nos émotions négatives. Autrement dit, l’humour nous permet d’économiser notre énergie psychique.