Le groupe et moi, et moi … ou comment trouver ma place ?

Introduction – Le Café Psy – Juillet 2014

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Nous allons tout d’abord vous proposer une définition de ce que nous allons considérer ce soir comme un groupe. Un groupe peut être défini comme un ensemble de personnes qui vont, pendant un temps, interagir, s’influencer mutuellement et se percevoir comme un « nous ». Et chaque mot compte.

Un groupe se constitue autour d’un objectif et d’un certain nombre de valeurs communes qui unissent les membres, mais peuvent aussi, nous allons le voir, les diviser. L’un des besoins fondamentaux à l’intérieur d’un groupe est le sentiment d’appartenance. Et c’est bien là tout l’enjeu : comment rester soi ET appartenir au groupe ?

 

Les enjeux

Car que se passe-t-il dans un groupe ? La confrontation aux autres génère un questionnement de l’identité personnelle, et de la place que l’on occupe, les deux étant parfois, ensemble ou alternativement, à conquérir ou reconquérir. Et bien sûr, ces questions de l’identité individuelle et de la place occupée trouvent leur origine dans ce qui se jouait autrefois au sein de la structure familiale. On retrouve d’ailleurs dans tous les groupes, qu’ils soient familiaux ou pas, des rôles archétypaux de bourreau, sauveur, victime, leader, suiveur, etc.

Les inquiétudes générées par le groupe

Force est de constater, qu’être dans un groupe est générateur d’inquiétude voire même d’angoisses. C’est avant tout se confronter aux autres, à leur perception mais aussi à leur désir, à leur volonté. Didier Anzieu, le notait dans son ouvrage, « le groupe et l’inconscient ». « Dans un groupe restreint, je peux avoir de chacun une perception individualisée, et réciproquement. Chacun essaie ou peut essayer de me soumettre à son désir. Cette convergence sur moi de désirs différents n’est pas supportable. Contre une telle pluralité, je risque de ne plus pouvoir réagir en affirmant mon moi, mes désirs, je risque de ne plus exister pour moi même, en étant écartelé entre tant de demandes diverses »

Le groupe constitue donc potentiellement une menace pour l’individu et entraine des peurs archaïques. :

  • La peur d’être détruit, c’est à dire de ne plus exister
  • La peur d’éclater, sentiment d’être écartelé, parfois jusqu’à devenir fou
  • La peur d’être persécuté ou de devenir persécuteur, trop agressif,       « on » m’en veut, untel m’en veut … ou je vais m’attaquer à telle personne pour me sécuriser …
  • La peur de la dépression, qui se manifeste par « nous n’y arrivons pas » ou encore « il ne se passe pas grand chose ce soir ici »…
  • La peur d’être dévorer : le groupe peut être perçu comme une bouche dévorante qui va happer nos individualités, notre identité.

Reprenant le principe de Sartre qui notait que « c’est d’abord dans le regard de l’autre que chacun saisit son identité » nous pouvons considérer qu’il y a une sorte de contradiction passionnante dans ce double mouvement attirance-peur du groupe. Nous avons peur des autres en ce qu’ils menaceraient notre identité, nous avons « la peur d’être noyé dans la masse », la peur du jugement, « la peur du regard d’autrui » et pour autant ce regard est structurant car à travers lui le sujet se découvre comme objet de points de vue d’appréciations qui lui échappent. Autrement dit, le groupe nous donne des informations sur nous-même que nous ne pourrions trouver nulle part ailleurs. Mais c’est justement dans la mesure où j’en suis dépendant que le regard de l’autre menace mon identité.

Les mécanismes de défense individuels ou la stratégie identitaire

Pour répondre à ces peurs, les individus mettent en place des mécanismes de défense qu’on appelle « stratégie identitaire ». Selon Wilfried Bion, le groupe peut se rapprocher de la relation du nourrisson à sa mère : On le voit particulièrement lors de l’arrivée d’un nouveau membre, mais cela s’exprime plus ou moins tout le temps. Les défenses archaïques, c’est à dire celles que nous avions étant bébé, se réactivent. On peut notamment en distinguer trois :

  • Le clivage : Incapacité à percevoir en même temps les caractéristiques positives et négatives d’un objet. Que ce soit du nouveau vers le groupe ou du groupe vers le nouveau.
  • L’idéalisation : voir l’autre comme parfait
  • L’identification projective : attribuer à l’autre nos propres caractéristiques afin de se reconnaître en lui. Et nier donc ce qui lui est propre.

 On peut également observer certains membres qui s’organisent en binôme, quitte à faire « couple », et ainsi se protéger et se différencier de l’ensemble. Une autre source de tension réside dans l’harmonisation difficile entre la vie affective du groupe (émotions et sentiments) et sa capacité de discernement (prises de conscience, réflexion). Car il y a toujours un délai entre l’éprouvé d’une émotion et sa compréhension. Ce qui génère de la souffrance et du doute car dans les mécanismes de défenses qui se mettent en place dans un groupe, chaque membre se fixe, selon sa nature, plutôt sur l’intellectualisation, ou plutôt sur le tout affectif, plutôt que d’accepter les allers retours entre l’un et l’autre.

Les mécanismes de défense collectifs

Mais le tout est différent de la somme des parties, c’est à dire que le groupe en lui-même n’est pas uniquement l’agrégation d’individus mais une entité à part entière. Didier Anzieu, entre autres, lui prête même un inconscient qui lui est propre qu’il nomme « l’inconscient groupal ». Dans la recherche de sécurité face à la violence potentielle du groupe, on constate l’aspiration à une fusion collective, à un « être ensemble », que l’on appelle « l’illusion groupale » autrement dit, « nous sommes un groupe merveilleux », et ici « c’est le meilleur Café Psy de Paris !!! »

L’illusion groupale « apporte une solution au conflit entre désir de sécurité et d’unité d’une part et d’autre part, une angoisse de perte de l’identité personnelle au sein du groupe ». Pour répondre à la peur d’une atteinte de notre narcissisme individuel, l’illusion groupale crée un narcissisme collectif.

L’expression de soi expose. Elle touche ce qu’on pourrait appeler « les petits arrangements entre identité sociale et identité intime ». Le groupe active une intense négociation intérieure entre le masque social et le soi intime. Cette négociation, selon les individus, permet ou pas la prise de parole, active un peu ou beaucoup l’envie de se différencier au sein du groupe par des comportements décalés par rapport au valeurs ou aux règles du groupe. Elle renforce le besoin d’exister et de prendre sa place par l’expression de soi, ou au contraire celui de se fondre dans la masse, de ne pas être vu pour ne pas être jugé.

L’appartenance d’un individu à un groupe déforme sa perception de son expression personnelle : cette expression passe, sans qu’il le sache, à travers le filtre de ce qui est dicible dans le groupe et recevable par ses membres.

Dès lors, comment manifester son soi intime dans une situation groupale ? Le conflit entre le désir d’expression de soi et le besoin de conserver un masque social crée une tension que l’on pourrait résumer par cette question : comment je fais pour dire ce que je sens et ce que je pense, sans me laisser envahir par les réactions des autres, sans me sur-adapter, tout en conservant mon sentiment d’appartenance au groupe ? Comment je m’arrange entre le personnage et la personne, c’est à dire entre qui je suis et qui je veux montrer ? Et de quelle façon j’occupe ma place quel que soit l’espace accordé par les autres ?

Pour répondre à toutes ces questions et à d’autres que nous n’avons peut-être pas évoquées, nous vous invitons à vous replonger dans les différentes situations de groupes que vous connaissez : travail, bandes de votre adolescence, famille, thérapie de groupe, ou même pourquoi pas, le Café Psy.

Christine Jacquinot & Marie Marvier