Le physicien Albert Einstein affirmait : « La valeur d’un homme tient dans sa capacité à donner et non dans sa capacité à recevoir. » Pour nous, les psy, cette idée très valorisée du don est à questionner, car peut-on vraiment donner, si l’on ne sait pas recevoir ?
Donner et recevoir sont au cœur du lien. Sans la notion d’échange, aucune société n’est possible. Nous aurions d’ailleurs dû intituler cette soirée : « Donner, recevoir, rendre ». Il s’agit en fait de trois concepts indissociables à la base des liens humains et qui situent chacun d’entre nous dans une forme de hiérarchie, qu’elle soit sociétale, ou personnelle.
Donner
Voici comment le dictionnaire de l’Académie Française définit le don : « Action de céder volontairement quelque chose à quelqu’un sans rien demander en échange. » Mais est-ce vraiment possible ? Au fond que se passe-t-il pour nous lorsque nous donnons à l’autre (du temps, des cadeaux, de l’argent, de l’aide) ? Autrement dit, le don est-il vraiment gratuit ?
Au minimum, nous en attendons un plaisir narcissique. Mais ce qui sous-tend ce plaisir, c’est peut-être la question de l’ascendant que nous prenons sur l’autre.
Car nous le mettons dans la position de recevoir. Or, dans sa théorie du don, l’anthropologue Marcel Mauss, nous indique que celui qui reçoit ressent à un niveau plus ou moins conscient l’obligation absolue de rendre. Il devient notre débiteur.
Dans la plupart des cas, nos attentes, lorsque nous donnons, vont du simple merci, à l’expression affirmée de la gratitude, voire à la promesse implicite ou explicite d’un retour. Il suffit d’imaginer un cadeau que nous ferions et qui serait reçu dans la plus totale indifférence pour comprendre que le don ne peut pas être tout à fait gratuit.`
Dans les cas les plus extrêmes, le plaisir devient jouissance à se sentir indispensable, à se vivre comme tout puissant et à tenir l’autre dans sa dépendance. Nous pourrions même parler de pulsion d’emprise. L’esprit de sacrifice, par exemple, peut s ‘apparenter à un mode subtil de domination. Celui qui donne sans cesse asservit l’autre à force de le mettre dans l’obligation de rendre de l’amour, de la reconnaissance, voire de la vénération. Ces personnes-là s’immiscent là où l’on ne les désire pas mais nous donne le sentiment qu’on ne peut plus s’en passer. On le voit chez certaines mères abusives, notamment. Ca commence avec le linge, la nourriture, et jusqu’au choix du conjoint, du métier, etc.
Et si finalement, à des degrés divers, donner ne revenait pas à demander de l’amour ?
Recevoir
Et qu’en est-il de « recevoir » ? Là encore, une définition s’impose. Celle de L’Académie nous dit qu’il s’agit de prendre « ce qui est offert sans qu’il soit dû ». Celle des psy serait plutôt de « profiter sans culpabiliser », c’est à dire en acceptant le plaisir éprouvé, et le sentiment de gratitude qui en découle. Or cela revient à donner quelque chose en retour.
Recevoir, c’est une reconnection au manque, au deuil d’un objet idéalement nourrissant, dans un temps où justement aucun retour n’était attendu. C’est à dire dans les six premiers mois de notre vie. C’est pourquoi très peu d’entre nous échappent à la difficulté de recevoir. Mais pour certains, il s’agit d’une quasi impossibilité. Quand la mère n’a pas été suffisamment aimante, nourrissante, accompagnante lors des premières frustrations, la peur des émotions associées au manque induit un rejet du don, qu’il soit matériel ou affectif. On pourrait dire : « C’est le bon lait que je ne veux pas, par peur d’en être privé à nouveau ».
Recevoir est également en lien avec l’image de soi. Est-ce que je mérite ce que l’on me donne ? Mais cette image ne se construit-elle pas, elle aussi, dans les premières expériences de séparation d’avec la mère ?
Dans « donner » comme dans « recevoir », on trouve bien souvent un rapport à la dépendance ou au refus de la dépendance. La dépendance s’exprime dans la demande d’amour liée au don. « Je donne beaucoup car j’ai besoin de recevoir beaucoup ». Le refus de la dépendance s’ancre du côté du narcissisme et de la toute puissance : « je ne veux rien devoir à personne !» ou « je ne veux prendre personne en charge. »
Une relation harmonieuse se fonde sur la fluidité des échanges -donner, recevoir, rendre- et sur l’inter-dépendance, c’est à dire l’acceptation sereine d’une certaine part de dépendance de l’autre et à l’autre. Il s’agit là de notre capacité à donner sans attentes excessives, à accepter ce que l’autre nous propose sans se sentir assujetti, et à rendre de la gratitude en retour, dans un aller-retour qui tisse le lien au fil du temps.
Finalement, nous pourrions dire que contrairement aux idées reçues, donner, c’est demander de l’amour et recevoir, c’est en donner.